Témoignages d'A. et Sarah


De nombreuses violences sexuelles sont commises dans les univers du cinéma et des médias. De manière générale, le travail est un lieu où les rapports de domination sont exacerbés, notamment par la dépendance financière. MeTooMedia déplore que trop souvent (voire presque systématiquement) la victime connaît une double peine à l’instar de Sarah* et A. qui ont perdu leurs emplois de critiques de cinéma après avoir été victimes de viols dans l’exercice de leur métier. A. et Sarah ont porté plainte, mais les conséquences de la dénonciation des viols ont eu de grandes répercussions sur leurs vies professionnelles et personnelles. 

En mars 2021, A. lance sa propre revue papier spécialisée. Le fondateur d’une revue concurrente lui propose spontanément son soutien. Au bout de six mois, cet homme va quotidiennement harceler sexuellement A., tout en lui proposant de devenir rédactrice rémunérée dans sa propre revue. En difficulté financière, elle accepte les piges, et quitte un an plus tard la rédaction, malgré sa précarité, après que le rédacteur en chef l'a violée. Victime de stress post-traumatique, elle est dans l’impossibilité de travailler pendant près de six mois. Elle a tout perdu professionnellement puisqu'elle ne parvient pas à se mobiliser pour sa propre revue.

A. cherche de l’aide auprès du Syndicat Français de la Critique de Cinéma. Elle est reçue froidement au téléphone, elle se souvient que la personne lui rétorque “ne pas comprendre pourquoi elle raconte tout ça”. Elle apprend qu’il existe une possibilité d’aide juridique, mais “pas dans [son] cas”.

De son côté, en juillet 2021, Sarah est accréditée pour le Graal des critiques de cinéma : le festival de Cannes ! Elle y représente une revue spécialisée pour laquelle elle travaille depuis cinq années. Elle est membre du comité de rédaction. Elle vient de recevoir une promesse d’embauche en CDI, comme coordinatrice éditoriale - son premier contrat après une quinzaine d’années de piges. Durant le festival, un partenaire du média pour lequel elle travaille la viole. Elle le révèle quelques jours plus tard à son employeur. Celui-ci reste sans réaction. Pire, peu de temps avant la date prévue de sa prise de poste comme coordinatrice, elle apprend qu’il n’en est plus question. Entièrement dépendante financièrement de la revue, Sarah est écœurée. Elle poursuit malgré tout son travail de pigiste. Son employeur et l’équipe se montrent extrêmement distants, alors qu’elle entretenait depuis des années des relations amicales avec de nombreux collègues. Elle entame une psychothérapie coûteuse mais nécessaire. Plus d’un an après ce triste festival de Cannes, déprimée, sans aucun soutien de la rédaction ni de son employeur, elle se résigne à démissionner. Cumulant les petits contrats d’enseignement ou de consultante, Sarah n’a toujours pas de situation stable. Actuellement inscrite à France Travail, elle ne reçoit ni indemnités (elle a démissionné) ni financements pour une formation : on lui réclame pour cela un courrier de son ancien employeur, avec lequel elle est en procédure aux Prud’hommes. Elle a déménagé à plusieurs centaines de kilomètres pour s’éloigner de cette rédaction.

A. a eu plus de chance, quelques mois plus tard, en trouvant un nouveau poste dans le milieu du cinéma, principalement parce que son nouveau patron n’a pas pris contact avec son précédent employeur.

*Prénom modifié