Shiori Itō, droguée et violée : une pionnière du MeToo japonais
Shiori Itō, droguée et violée : une pionnière du Metoo japonais
MeTooMedia est partenaire en France de la sortie du film documentaire « Black Box Diaries » récit glaçant et rigoureux de la journaliste japonaise Shiori Itō qui retrace dix années de combats pour faire reconnaitre son propre viol. Nous avons pu la rencontrer à Paris, lors de l’avant-première de son film, début février. Dans une salle comble, cette femme élégante à la parole puissante, a dialogué avec le public puis nous a accordé une interview. Nous avons cassé tous les codes journalistiques à grandes embrassades émues !
MeTooMedia - Pourquoi avez-vous choisi la forme du documentaire pour dénoncer votre agresseur et son viol ?
Shiori Itō - Le documentaire est un genre journalistique. J’ai été formée à ce métier. Black Box Diaries est basé sur l’investigation documentée de mon propre viol commis par Noriyuki Yamaguchi. En 2015, j’étais jeune journaliste indépendante. Noriyuki Yamaguchi responsable chez TBS (la télévision publique japonaise) m’a proposé de postuler à Washington. Il m’a invitée pour préparer mon entretien et faire connaissance. Il m’a violée.
Au départ je voulais simplement justice. J’ai déposé plainte. La police ne faisait pas son travail et l’affaire a été classée sans suite. Ce journaliste dispose d’un réseau puissant, il est ami du premier ministre dont il est le biographe. Je suis issue d’un milieu modeste. Si seulement MeTooMedia avait existé au Japon ! Votre association aurait été d’une grande aide, j’étais si seule.
Je m’étais attaquée à un homme reconnu par la profession, je ne recevais plus d’offre d’emploi. La majorité des médias refusait mes propositions d’interviews sur cette affaire. Noriyuki Yamaguchi m’avait attaquée en diffamation. Je perdais tout. Alors j’ai fait ce que je sais faire, enquêter. J’ai raconté mon histoire, comme une journaliste. C’est le seul moyen que j’ai trouvé. J’ai enregistré mes échanges avec la police et mes informateurs pour documenter mon enquête. 400 heures d’enregistrements. J’ai d’abord sorti un livre. C’est seulement ensuite que j’ai travaillé sur le documentaire. La découverte de la vidéo surveillance où je suis manifestement forcée par cet homme à sortir du taxi pour rentrer dans son hôtel a été décisive.
MeTooMedia - Ce documentaire vous a-t-il aidé dans votre reconstruction ?
Shiori Itō - C’est à la fois une parole qui s’impose, là où personne ne voulait l’entendre et un travail d’enquête journalistique. Ma posture de journaliste m’a servie de carapace aussi, pour ne pas m’écrouler. Oui on peut parler de reconstruction sociale et personnelle. Le documentaire a été récompensé au festival de Zurich et sélectionné au festival de Sundance et aux Oscars. Pour moi c’est un honneur et une victoire aussi.
MeTooMedia - Comment votre témoignage a-t-il été reçu au Japon ?
Shiori Itō - Le sujet du viol est tabou dans mon pays, il n’est pas vu comme un problème de société. Le viol est renvoyé à la sphère privée. Tout le monde, même ma famille, voulait que je me taise, que j’oublie. Je ne pouvais pas oublier. Je suis devenue, malgré moi, une militante de la lutte contre les violences sexuelles au Japon, un pays où seules 4% des victimes de viols portent plainte.
Je me suis attaquée aux archaïsmes de la société machiste japonaise… J’ai reçu des soutiens, mais aussi des menaces de mort d’hommes et de femmes. J’étais reconnue dans la rue, harcelée, insultée. En 2017 je me suis réfugiée à Londres où je vis toujours. Mais je continuais à recevoir un flot de messages haineux, alors j’ai pris un assistant pour ouvrir mes mails. Pour me protéger de cette brutalité. Depuis mon témoignage, la loi a évolué au Japon, la majorité sexuelle a été portée de 13 à 16 ans. C’est un progrès mais beaucoup reste à faire notamment pour les viols entre adultes. La société japonaise avance lentement. D’ailleurs mon film n’a trouvé aucun distributeur dans mon pays natal alors qu’il est diffusé dans 58 Pays. Le déni persiste.
MeTooMedia - Une question privée à laquelle vous n’êtes pas tenue de répondre si vous ne le souhaitez pas. Avez-vous pu, malgré ce traumatisme, retrouver la confiance et l’amour ?
Shiori Itō - Je veux répondre ! Et oui j’ai retrouvé la confiance et l’amour ! J’ai reçu des soutiens formidables à Londres et partout où le film est diffusé. Avec la tournée du film je suis rarement chez moi depuis un an. Parfois je rêve de vivre à Paris avec mon compagnon, mais je dois apprendre le français d’abord ! Sinon ce sera Londres, notre ville.